L’Homme-nomade et le Voyageur-immobile ? - Nomadays

Madagascar

L’Homme-nomade et le Voyageur-immobile ?

24 avr. 2020

La fin de la saison des pluies est là, à Madagascar. Dame Nature est splendide, verdoyante et généreuse. Les oiseaux s’époumonent de chants tous aussi mélodieux les uns que les autres. Les soirées, lorsque le soleil rougeoie au couchant, commencent à être fraîches sur l’Altiplano malagasy.

Antananarivo, notre capitale, est ceinte d’un magnifique patchwork de rizières. Au cœur des camaïeux de verts, la ville s’étale sur les méandres des collines à presque 1500m. d’altitude.

En des temps normaux, nous sommes le 24 avril 2020, les voyageurs heureux parcourent en toute insouciance le pays, rencontrant sourires et gentillesse, des étoiles plein les yeux. Ensemble, nous randonnons paisiblement dans des massifs montagneux, connus ou moins connus. Madagascar est une vraie terre de trek : Andringitra, Marojejy, Ibity, Isalo ou Vavavato. Dans des lieux devenus uniques comme le Makay, nous étanchons notre soif de liberté et du plaisir d’être dans une nature préservée, souvent accompagné d’une myriade de porteurs, joyeux et enjoués.

Ensemble, nous découvrons un territoire immense composé, comme un puzzle, d’un kaléidoscope d’identités géographiques et humaines, ayant les mêmes dénominateurs communs : la gentillesse, le sourire et l’hospitalité.

Nous dormons sous les étoiles, dans des hébergements choisis ou dans des lieux idylliques. Madagascar est aussi un régal pour les gourmets aimant les milles saveurs.

Les lagons verts émeraude, le canal du Mozambique constellé de frêles voiles triangulaires reposent l’arpenteur d’espace.

Ensemble, nous glissons nonchalamment sur les flots paisibles des fleuves, les canaux, au cœur d’une végétation exubérante, les Pangalanes, la Manambolo.

Les iles paradisiaques de Nosy Be, Sainte Marie, Radama séduisent par une nature préservée.

Nous sommes le 24 avril 2020 !

Les nouvelles tombent raides et froides. 
La pandémie tue des milliers de personne au travers le monde.
Sinistre, triste période.

Aucun voyageur n’arpente la Grande Ile. 
Aucun voyage ne se déroule sur ses terres. 
Aucun avion ne décolle ou n’atterrit à Ivato ou ailleurs.
Aucun hébergement n’offre le gîte aux migrants par loisir.

La vie humaine est immobile, pétrifiée alors que le temps s’écoule immuable, paisiblement.
La Nature reprend ses droits alors que l’Homme suspend presque tout mouvement.
Il se confine en attendant des jours meilleurs, l’œil rivé sur les brèves du monde,
L’oreille à l’écoute des décomptes d’ailleurs.

Rien ne bouge, presque, car un confinement est impossible dans un pays comme Madagascar.

La pandémie a mis l’humain à l’arrêt, les genoux à terre ; un petit virus insignifiant issu de la destruction de la biodiversité.

Le temps nécessaire pour que la Terre reprenne son souffle. 
C’est comme une mise en garde silencieuse, un avertissement solennel.
Sommes-nous capables de l’entendre, d’en prendre conscience, d’agir autrement ?
Cet avertissement n’est pas un caprice mais une réelle mise en garde, un coup de semonce !

A Madagascar, la situation est simple, bien que complexe.
L’épidémie semble, à ce jour, endiguée, maitrisée, ne plus progresser.
Heureusement, aucun décès n’est à déplorer, aucun malade gravement atteint.
La centaine de cas souffrent de symptômes modérés et devraient guérir rapidement.

Les raisons ? Il est trop tôt pour l’analyser.

Le virus est arrivé dans l’ile tardivement, des mesures sanitaires fermes ont été prises immédiatement. Elles ont visiblement permis d’endiguer la propagation de la maladie.
La population malgache est jeune et elle dispose de fortes capacités à résister aux épidémies, aux virus, aux parasites et autres attaques microbiennes. Il est probable que les défenses immunitaires des malgaches rendent possible une non-propagation. 
Puis, il y a surement un autre facteur à prendre en compte, la population a été traitée durant des années, à la chloroquine, pour combattre un ennemi autrement plus mortel ; le paludisme.

Après un mois de confinement relatif, la vie reprend peu à peu, un peu hébété, bouche masqué, groggy comme un boxeur à la limite du KO.

Nous restons très attentif à demain, sur nos gardes, afin de nous préserver d’un sursaut du CoVid-19.

Madagascar, l’insulaire, est isolée du reste du monde. C’est notre chance car tout est plus facile à contrôler.

Nous qui sommes des voyageurs, des professionnels du voyage, nous n’existons qu’au travers vos désirs de voyages. Aujourd’hui, l’incertitude brouille nos rêves.
La vie de notre entreprise, petite goélette agile et fragile à la fois, au milieu de cet océan déchainé, est en cause.
Le tourisme – comme d’autres secteurs économiques – est durement touché.

Comment allons-nous sortir de cet épisode ?

Comment préserver nos collaborateurs qui ont donnés le meilleur d’eux-mêmes pour bâtir notre idéal et notre implication de voyagiste éco-responsable ?
Comment éviter qu’à la crise sanitaire se double une profonde crise socio-économique ?

Nos limites peu-à-peu se dessinent !

Fort heureusement, nous recevons au quotidien vos témoignages de la solidarité qui, par des mots ou des gestes, nous soutiennent. Merci du fond du cœur.

Sommes-nous capables de réinventer notre conception du voyage ?

Faut-il que nous changions totalement de registre / de paradigme et que notre expertise, notre sens de l’organisation, de la planification, de connaissances profondes du terrain et des hommes soient mise à la disposition d’une autre cause, d’autres causes, en faisant abstraction de notre amour du voyage bien conçu ?

Sommes-nous capables de basculer sur d’autres activités ayant du sens et allant dans le sens commun, la crise et l’après crise à Madagascar ?

Faut-il simplement – comme nous pouvons l’entendre actuellement – abolir le concept de voyage, bannir les voyageurs ??

La nature de l’Homme est vagabonde, l’Homme est un migrateur. Le voyage est son essence profonde, son ADN. De tout temps, l’hominidé s’est déplacé par nécessité, par contrainte, par conquête mais aussi par curiosité.
En groupe ou de manière individuelle, l’Homme est Nomade dans sa nature profonde. Sédentaire, lorsqu’il ne voyage pas dans l’espace, son esprit nomadise par curiosité, par nécessité.

Comment concilier cet état de fait, l’Homme voyageur-né, avec une activité économique respectueuse et responsable ?

Il semble évident que la façon de voyager doit/devrait changer. L’esprit du voyage doit muter. C’est un sentiment que nous partagions avant le Coronavirus.
Cette crise est l’accélérateur, le propulseur vers une mutation qui semble nécessaire.

La genèse de la crise actuelle est liée, avant tout, à la destruction par l’Homme de la biodiversité. Ce n’est pas la première fois et si nous n’y prenons pas garde de manière collective, ce ne sera pas la dernière.

Il y a quelques jours, j’écrivais à un partenaire qui pilote une belle petite entreprise en France : « Notre façon de conceptualiser le voyage, de ciseler les itinéraires est lié au respect de l’humain et de l’humanité, avec humilité et humanisme … »

Et aujourd’hui ?

La grande famille / tribu Détours, en Mauritanie comme à Madagascar est sur le pont pour gérer la situation actuelle et préparer le futur. Nous développons l’avenir avec pragmatisme et réalisme pour vous, pour nous tous.
Nous n’avons, loin s’en faut, pas toutes les réponses aux multiples interrogations mais nous restons actifs.

Nos sociétés souffrent, tout le monde souffre, le monde entier souffre mais notre esprit de voyageurs, notre conception de la vie et notre motivation restent intactes, au service de l’échange entre les hommes, au respect universel et à la responsabilité partagée.

Comme toujours et plus encore au regard de cette période sombre qui nous bouscule, cela nous encourage à voyager (immobiles pour le moment) les sens en éveil, à découvrir, à partager, à écouter et comprendre, à voir et respecter, à sentir les mille saveurs de la vie ! Nous restons des voyageurs attentifs et curieux.

Il nous faudra poursuivre et savourer l’itinérance avec lenteur, de manière intimiste mais non intrusive, être en adéquation avec l’environnement naturel, sans outrance ni prédation.

Alors, peut-être, nous aurons progressé et ce coup de semonce aura été bénéfique.

Toute l’équipe Détours vous souhaite le meilleur mais pour moment, préférez le voyage immobile. L’heure viendra bientôt !

Sylvain PHILIP - Antananarivo le 24 avril 2020