Arabati Baba Teqe - Nomadays

Macédoine du Nord

Arabati Baba Teqe

L’Arabati Baba Teqe (Teke ou Tekke), situé à Tetovo, en Macédoine du nord, est un monument emblématique de l’architecture ottomane et un centre spirituel majeur du soufisme bektashi. Conçu autour du mausolée (tombeau) de Sersem Ali Baba, un derviche respecté, ce tekke (monastère soufi) offre une plongée fascinante dans l’histoire et la culture de la région. Considéré comme l’un des plus beaux monastères bektashi encore existants en Europe, le complexe a été consolidé en 1799. Véritable joyau religieux, culturel et touristique, l’Arabati Baba Teqe est l’un des sites les plus importants de la ville, et continue de fasciner les visiteurs.

Histoire

Fondé en 1538 par Sersem Ali Baban ancien vizir du Sultan Süleyman le Magnifique, l’Arabati Baba Teqe est l’un des plus importants complexes soufis des Balkans. Le terme teqe ou teke fait référence à un monastère soufi. C’est le lieu où les rituels mystiques et les enseignements religieux sont pratiqués dans un environnement contrôlé, permettant ainsi la purification spirituelle des membres de l’ordre.

Sersem Ali Baba, après avoir été exilé à Kalkandelen (l’actuelle Tetovo) en raison d’une disgrâce à la cour ottomane, établit son propre monastère, devenant ainsi le fondateur du Bektashi de la ville. Le complexe monastique initial a été construit entre 1538 et 1548 et fut nommé Arabati Teke, signifiant « édifice sacré » ou « temple ». Ce dernier est devenu un centre de spiritualité et d’éducation, où les activités religieuses se sont intensifiées, accompagnées d’une véritable effervescence artistique et littéraire.

Au fur et à mesure des années, l’Arabati Baba Teqe s’est agrandi, notamment en 1799 grâce à une dotation (waqf) offerte par Recep (Rexhep) Pacha. Celle-ci a permis de définir les limites actuelles du complexe et d’enrichir les structures avec de nouveaux bâtiments. Ce développement a consolidé le rôle de l’Arabati Baba Teqe comme centre spirituel majeur de l’ordre Bektashi.

Le tekke a également joué un rôle de préservation de la culture soufie, en particulier de l’art de l’écriture et de la création artistique, en devenant une référence pour l’ensemble de la région. C’est également au cours de cette période que le site a commencé à acquérir sa réputation architecturale, notamment grâce à sa magnifique architecture en bois, ornée de nombreuses sculptures détaillées.

Après la mort de Sersem Ali Baba, son élève et successeur, Harabati Baba, continua son œuvre en renforçant l’influence et la renommée du tekke. Le complexe devint le centre névralgique de l’ordre Bektashi jusqu’à la fin de la domination ottomane en 1912, moment où les Ottomans furent chassés de Macédoine.

Entre 1941 et 1945, l’Arabati Baba Teqe connut une petite renaissance, mais les propriétés furent nationalisées durant la période yougoslave, et le site fut transformé en hôtel et musée. Toutefois, ces dernières années, l’ordre Bektashi a pu récupérer l’accès au tekke et entreprendre une lente restauration du site. Malgré que le complexe reste en mauvais état, il demeure l’un des plus grands et mieux préservés des tekkes des Balkans.

Le nom Harabati Baba et sa signification

Le nom Harabati Baba (ou Harabati Baba Teke) porte un sens particulier. Le terme « Harabati » vient du mot persan « kharaab », signifiant « ruine », symbolisant ainsi la destruction de l’ego dans la quête spirituelle soufie, un processus purifiant permettant d’atteindre l’union avec le Divin. Le nom reflète ainsi l’objectif spirituel du tekke, à savoir la purification intérieure et l’élévation de l’âme. Quant au terme « Baba », il désigne une position respectée dans l’ordre Bektashi, celle de leader spirituel, et c’est en hommage à Sersem Ali Baba que le complexe porte le nom de Harabati Baba.

Architecture

L’Arabati Babab Teqe a une forme rectangulaire, mesurant environ 200 mètres de long et de plus de 100 mètres de large. Entouré de murs de pierre de 5 mètres de hauteur à l’est et de 3 mètres au nord et à l’ouest, il constitue une forteresse spirituelle imposante et protégée.

L’intérieur du Arabati Baba Teqe abrite plusieurs structures distinctes, dont :

  • L’auberge principale (ou « selamllek »), un espace dédié à l’accueil des pèlerins et des visiteurs.
  • La terrasse d’été, un lieu de rassemblement en plein air permettant de profiter du climat agréable des montagnes environnantes.
  • La résidence principale, servant de demeure pour les figures importantes du complexe.
  • La maison d’hiver, pour offrir confort et chaleur pendant les mois les plus froids.
  • La maison de Fateema, ou « Hareem », qui est l’un des pièces architecturales les plus remarquables.
  • La bibliothèque, riche en ouvrages religieux et mystiques, essentielle à l’apprentissage spirituel.
  • La cuisine, destinée pour préparer des repas aux résidents et aux hôtes du monastère.
  • La salle principale de prière, un lieu sacré où les membres de l’ordre Bektashi se rassemblent pour les rituels et les méditations.
  • Les quatre tours imposantes, chacune jouant un rôle symbolique et fonctionnel.

Une légende raconte qu’une tour avait fait partie d’un système de défense ou qu’elle avait servi de dernière demeure de Roxalana, une noble albanaise décédée de la tuberculose.

L’Arabati Baba Teqe comprend également des fontaines en marbre, notamment une grande fontaine située dans un pavillon en bois. La beauté et la richesse de l’architecture de ce tekke sont le fruit de l’artisanat traditionnel ottoman, orné de sculptures en bois et de motifs décoratifs et inscriptions uniques embellissant chaque bâtiment du complexe.

En outre, dans la cour du tekke, un vaste espace verdoyant abrite une grande variété de fleurs, de rosiers, d’arbres fruitiers, et d’animaux sauvages domestiqués qui créent une atmosphère de sérénité, en harmonie avec l’air frais des montagnes de Sharr. Ce jardin spirituel était autrefois un véritable Jardin d’Éden, un lieu où les derviches accomplissaient leurs devoirs quotidiens et entretenaient le tekke dans un état impeccable. Il servait aussi de point central pour les œuvres de charité, offrant de l’aide aux habitants locaux, indépendamment de leurs origines religieuses.

Le site est également connu pour ses cimetières, du côté nord-ouest, abritant les tombes de figures importantes de l’ordre Bektashi, ainsi que des épitaphes magnifiques contenant des poèmes et versets en lettres arabes.

L’Arabati Baba Teke aujourd’hui

Au début des années 2000, l’Arabati Baba Teqe a été au centre de tensions importantes concernant son administration et son utilisation. En 2002, un groupe armé de la Communauté Islamique de Macédoine (ICM), organisation légalement reconnue représentant les musulmans du pays, a tenté de s’approprier le site, dans le but de le transformer en mosquée. Cependant, le complexe n’avait jamais « t » destiné à cet usage, et cette tentative a entraîné des conflits juridiques et des débats sur la reconnaissance officielle de la communauté bektashie en Macédoine du Nord.

La communauté bektashie a réagi en déposant une plainte contre le gouvernement macédonien, arguant que le tekke aurait dû lui être restitué en vertu d’une loi des années 1990. Celle-ci visait à rendre aux propriétaires légitimes les biens nationalisés sous le régime yougoslave. Toutefois, cette loi concernait principalement les citoyens privés et non les communautés religieuses. L’ICM, de son côté, justifiait ses revendications en se déclarant l’organisation représentative de tous les musulmans de Macédoine, malgré qu’elle soit exclusivement sunnite. La communauté bektashie, de tradition shiite, avait sollicité sa reconnaissance en tant que communauté religieuse distincte dès 1993. Toutefois, cette demande avait été rejetée par les autorités macédoniennes.

En mars 2008, les tensions ont de nouveau éclaté lorsque des membres de l’ICM ont pris possession de nouveaux bâtiments à l’intérieur du complexe, ce qui a été perçu comme une occupation illégale. Des témoins ont rapporté avoir été intimidés, et certains ont même fait état de tirs dans l’enceinte du tekke, exacerbant encore davantage les conflits. Ces événements ont marqué un tournant dans l’histoire du site, mettant en lumière la lutte pour la préservation de l’héritage spirituel et historique du complexe.

Malgré ces conflits, l’Arabati Baba Teqe demeure un monument historique et spirituel majeur en Macédoine du Nord. Si certains bâtiments, comme l’auberge de réception, sont en mauvais état, la bibliothèque est en cours de rénovation. Par ailleurs, bien que l’un des bâtiments ait été transformé en mosquée sunnite, les auberges autour du cimetière Bektashi ont été préservées pour honorer la mémoire des Baba, perpétuant ainsi la tradition et l’histoire du lieu.

Conseils pratiques

Lors de votre visite à l’Arabati Teqe, prenez le temps d’échanger avec les derviches, qui pourront vous fournir des informations enrichissantes sur la foi bektashi. Si vous souhaitez contribuer à la préservation du site, envisagez de faire un don en soutien aux travaux de rénovation en cours. Pour une expérience plus immersive, n’hésitez pas à vous renseigner directement sur la possibilité de passer la nuit dans le jardin du Tekke, une occasion unique.

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