Au cœur de la Vieille Havane, un palais raconte à lui-même trois siècles d’histoire cubaine. Derrière ses arches en pierre, ses balcons élégants et son imposant patio central, le Palacio de los Capitanes Generales se dresse comme un témoin silencieux des époques coloniale, républicaine et révolutionnaire. Ancienne résidence du pouvoir espagnol, puis siège du gouvernement américain et de la présidence cubaine, ce bâtiment emblématique devenu Musée de la Ville incarne la mémoire vive de la capitale. Visiter ses salles, c’est parcourir l’évolution politique, sociale et artistique de Cuba, au fil des objets, des murs et des récits.
Situé sur le flanc est de la Plaza de Armas, au cœur historique de La Havane, le Palacio de los Capitanes Generales est l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture baroque cubaine. Avant d’accueillir ce prestigieux bâtiment, le site abritait la Parroquial Mayor, première église de la ville, probablement incendiée par le pirate français Jacques de Sores au XVIe siècle, puis gravement endommagée lors de l’explosion du navire Santa Bárbara en 1741.
À la suite d’un ouragan qui détruisit le siège du cabildo en 1768, les autorités décidèrent de bâtir un nouvel édifice regroupant plusieurs fonctions : résidence du gouverneur, prison et siège du conseil municipal. Le projet fut confié à l’ingénieur Antonio Fernandez Trebejos y Zaldivar. Les travaux commencèrent en 1776, sous l’impulsion du marquis de la Torre. Le palais fut achevé vers la fin de l’année 1791, sous le gouvernorat de Luis de las Casas.
Pendant plus d’un siècle, de 1791 ) 1898, le bâtiment servit de résidence à 65 capitaines généraux espagnols, représentants de l’autorité coloniale. Après la guerre hispano-américaine et le départ du dernier gouverneur, le palais passa sous administration américaine, devent le siège du gouvernement militaire (1899-1902), puis le palais présidentiel de la jeune République cubaine (1902-1920). Il accueillit ensuite la mairie de La Havane, jusqu’à la Révolution cubaine.
En 1967, la mairie déménagea, laissant place à une nouvelle vocation : celle de Musée de la Ville, inauguré en décembre de la même année. Le palais est aujourd’hui un haut lieu de mémoire nationale, témoin des grandes transitions du pouvoir à Cuba. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO avec l’ensemble de la Vieille Havane, le Palacio de los Capitanes Generales incarne à lui seul plusieurs siècles d’histoire politique et urbaine.
Le palais, de forme rectangulaire, s’élève sur 22 mètres de haut et occupe un pâté de maisons entier. Il a été construit en pierre calcaire blanche extraite des carrières de San Lázaro, parsemée de fossiles marins, qui confèrent à sa façade un aspect brut et naturel. Celle-ci est organisée de manière symétrique, avec une arcade en rez-de-chaussée, surmontée d’un étage rythmé par 5 sections de colonnes adossées, où s’alignent baies vitrées et balcons en fer forgé.
Le style baroque cubain du bâtiment se distingue par une ornementation discrète, préférant la linéarité et l’harmonie à l’exubérance. Il est complété par des influences néoclassiques, visibles notamment dans l’horloge à volutes au XIXe siècle.
La construction du palais a mobilisé des matériaux locaux et importés :
Le portail monumental, ajouté en 1834, porte le blason espagnol surmonté de la couronne royale, orné du collier de l'ordre du Toison d’or. Les travaux furent réalisés par des esclaves, comme c’était courant à l’époque coloniale.
En 1792, la répartition fonctionnelle des espaces fut clairement définie :
Le palais comprend une vaste terrasse, des galeries voûtées sur deux niveaux, et un patio central végétalisé considéré comme l’un des plus beaux de l’architecture coloniale cubaine. Ce patio, restauré en 1930 par Govantes et Cabarrocas, puis en 1968 par Daniel Taboada, est orné de palmiers royaux et d’une statue en marbre blanc de Christophe Colomb, réalisée par J. Cucchiari en 1862.
Pour résister à la chaleur de La Havane, l’édifice fut conçu avec :
L’intérieur présente des sols en marbre italien, de raffinées boiseries, et un balcon de surveillance qui offrait aux gouverneurs une vue directe sur la Plaza de Armas.
Depuis 1968, le Palacio de los Capitanes Generales abrite le Musée de la Ville de La Havane, l’un des lieux culturels les plus emblématiques de la capitale cubaine. À travers 40 salles thématiques, il retrace l’évolution historique de la ville, les luttes pour l’indépendance nationale et l’affirmation de l’identité cubaine.
Les visiteurs y découvrent les anciens appartements du gouverneur, reconstitués avec leur mobilier d’époque, le Salon de la Cuba héroïque, orné de drapeaux historiques, ainsi qu’une riche collection d’objets rares (porcelaines chinoises, cristallerie française, sculptures funéraires, ou encore baignoires en pierre sculptée). Le musée expose également :
À l’étage, l’histoire des guerres d’indépendance se déploie à travers armes, drapeaux , effets personnels et une salle dédiée à Carlos Manuel de Céspedes. On peut aussi y voir l’aigle américain qui surmontait autrefois le monument du USS Maine, rappelant l’intervention des États-Unis en 1898.
Enfin, le palais rend hommage aux arts plastiques cubains, avec des œuvres majeures de Romañach, Peláez, Wifredo Lam et bien d’autres, témoins de la transition entre traditions académiques et modernité. Dans cet univers feutré, entre tapisseries, meubles sculptés et rideaux de velours, le passé colonial semble toujours murmurer à travers les murs.
Parmi les pièces emblématiques, le Salon du Trône se distingue par son symbolisme. Héritage de la tradition espagnole dans les anciennes colonies, cette salle n’avait jamais reçu de monarque… jusqu’en 1997, lors de la visite officielle du roi Juan Carlos et de la reine Sofia d’Espagne. Sans s’asseoir sur l’estrade royale, les souverains posèrent devant elle, rendant hommage à la mémoire historique du lieu.
Plusieurs espaces sont consacrés à la formation de l’identité cubaine et aux luttes pour l’émancipation :
Le musée recrée également les intérieurs d’époque, avec une reconstitution fidèle de la vie aristocratique cubaine du XVIIIe au XIXe siècle :
Certains espaces permettent d’approfondir des aspects souvent méconnus de l’histoire et du patrimoine cubains :
Dans les anciennes écuries, une galerie est consacrée aux moyens de transport coloniaux :
Parmi les trésors du musée figure la Giraldilla, première sculpture en bronze fondue à La Havane entre 1630 et 1634. Symbole de la ville, elle trônait autrefois sur la tour du Castillo de la Real Fuerza.
Enfin, la pinacothèque du musée rassemble des œuvres majeures de l’art cubain, couvrant deux siècles d’expression artistique :