Les Cholitas : des femmes sur le plus haut sommet d’Amérique - Nomadays

Bolivie

Cholitas : l'expédition féminine sur le plus haut sommet d’Amérique

12 déc. 2023

Connaissez-vous les Cholitas ? Femmes indigènes boliviennes, elles ont longtemps fait l’objet de discrimination avant de devenir le symbole de l’émancipation de la femme. À travers un film documentaire, on vous emmène à la découverte du parcours extraordinaire de 5 d’entre elles. On vous raconte aussi l’histoire des Cholitas et comment elles sont devenues de véritables emblèmes de la lutte féminine en Bolivie.

Cholitas, un documentaire sur l’expédition de 5 femmes jusqu’au sommet de l’Aconcagua

   

Le documentaire en quelques mots...

En 2019, le duo de réalisateurs espagnols Jaime Murciego et Pablo Iraburu sort un documentaire exceptionnel sur le défi que se sont lancées cinq femmes autochtones boliviennes : celui de gravir l’Aconcagua, le plus haut sommet d’Amérique situé en Argentine. 

Ces femmes sont des indigènes du peuple Aymara que l’on surnomme les Cholitas. Âgées entre 25 et 50 ans (au moment du documentaire), Dora, Lidia, Cecilia, Elena et Liita ne sont pas des alpinistes professionnelles mais des cuisinières, enseignantes ou femmes au foyer.

Habillées de leurs tenues traditionnelles et équipées seulement de l’essentiel, elles s'élancent, en janvier 2019, à la conquête du plus haut sommet des Andes. Sur le chemin, elles n’oublient pas de faire offrandes à la « Pachamama », la terre mère. Elles finissent par atteindre le sommet à 6 962 m d’altitude après 20 jours d’ascension. 

Émouvant et incroyablement inspirant, le documentaire a reçu plusieurs prix dont :

  • Le Prix du meilleur film « culture montagne » au festival de Banff, 
  • le Prix du public au Grand Bivouac (Albertville), 
  • le Diable d’or au Festival international du film alpin des Diablerets (Suisse) ou encore 
  • le Prix spécial du jury aux Écrans de l’aventure (Dijon).

Découvrez la bande-annonce du documentaire Cholitas de Pablo Iraburu et Jaime Murciego.

 

Focus sur les Cholitas Escaladoras 

Au-delà du film documentaire, les Cholitas alpinistes existent bel et bien. On les appelle les Cholitas Escaladoras de Bolivia. Une dizaine d’autres femmes font partie du groupe, en plus de celles que l’on suit dans le documentaire. 

Ces grimpeuses en tenue traditionnelle ont déjà réalisé l’ascension de plusieurs montagnes, dont les plus hauts sommets de Bolivie comme le Huayna Potosi (6088m) ou encore l’Illimani (6462 m), des montagnes aux dimensions sacrées dans la culture Aymara. 

 

Qui sont les Cholitas en Bolivie ?

   

Un terme péjoratif pour qualifier les indigènes 

Le terme Cholitas désigne les femmes indigènes boliviennes (on les appelle aussi Cholas et on dit Cholos pour les hommes). Le mot a été imaginé à l’époque des Conquistadors qui l’utilisaient pour dénommer les populations andines de manière péjorative. 

Pourtant, les Cholitas appartiennent au peuple Aymara : leurs ancêtres étaient les premiers habitants de la Bolivie. Mais parce qu’elles sont des femmes, des autochtones et qu’elles sont souvent issues de milieux pauvres, les Cholitas ont, pendant longtemps, fait l’objet de discrimination en Bolivie.  

La tenue vestimentaire des Cholitas

La tenue vestimentaire des Cholitas se caractérise par plusieurs éléments distinctifs : 

  • Une robe à volants (composé de plusieurs épaisseurs) que l’on appelle « pollera » ;
  • Un tissu coloré porté sur le dos que l’on nomme « aquayo » ;
  • Un chapeau melon traditionnel appelé « bombin ».
  • Les Cholitas ont généralement de longs cheveux qu’elles coiffent en deux tresses reliées entre elles par une « Tula ».

Bien que la pollera soit devenue aujourd’hui un élément phare de l’identité des Cholitas, cette robe fut instaurée par les conquistadors. En effet, ce sont les colons espagnols qui imposèrent cette tenue aux Cholitas afin de les distinguer des autres classes de la société. Et pour cause, les Cholitas étaient souvent recrutées, à l’époque, comme employées de maison des classes aisées. 

Comment les Cholitas sont-elles devenues le symbole de l’émancipation de la femme ?

   

Les Cholitas d’hier à aujourd’hui

Victimes de discriminations pendant l’époque de la conquête espagnole, les Cholitas étaient exclues de la société. Elles n’étaient pas autorisées à se rendre sur la place Murillo, cœur historiques de la capitale bolivienne, la Paz. Elles étaient également interdites d’accès dans certains espaces publics comme les cinémas, certains restaurants et parfois même les universités. 

Longtemps moquées, stigmatisées et résignées à travailler sur les marchés ou à s’occuper des tâches ménagères et domestiques, les Cholitas sont petit à petit sorties de l’ombre, notamment avec l’élection du président Evo Morales en 2006. En effet, cet homme d’origine Aymara et fils d’une Chola, œuvra dès son arrivée au pouvoir, pour revaloriser l’identité et la culture de ses femmes.

La pollera devenue symbole de persévérance et de lutte

D’abord imposée par les colons et longtemps synonyme de pauvreté, la pollera devient un emblème des Cholitas ainsi qu’un symbole de persévérance et de courage. À la Paz, des quartiers entiers se consacrent désormais à la confection de chapeaux melon et de polleras. 

Des créatrices font évoluer le design et contribuent au succès de ces tenues traditionnelles à travers des défilés nationaux et internationaux comme la Fashion week. Dorénavant, les tenues traditionnelles des Cholitas évoquent la revendication et la lutte constante menées par ces femmes indigènes depuis des siècles.

Les Cholitas à travers l’espace public

Au fil du temps, celles qui étaient interdites à l’université, dans la sphère politique et au cinéma, se font désormais une place à travers l’espace public. Les Cholitas font des études, certaines sont même devenues députées ou sénatrices et d’autres se fraient un chemin à travers le monde des affaires, la mode ou les médias. 

Fortes d’adaptation et de lutte, les Cholitas continuent d’empoigner le stéréotype pour mieux le renverser. Embrassant toutes les facettes de leur identité -indigènes, métisses, urbaines et entrepreneuses- les Cholitas n’ont cessé et ne cessent de se battre pour se faire une place dans la société bolivienne en tant que femmes indépendantes. 

Le catch bolivien pour symboliser la lutte contre les violences faites aux femmes 

Outre leur histoire, leur identité culturelle et leur ténacité, les Cholitas sont aussi connues en Bolivie pour pratiquer le catch. On les appelle les « Cholitas luchadoras ». Chaque semaine, on les retrouve sur le ring dans le fameux quartier d’El Alto, en périphérie de La Paz (et ailleurs) où elles se donnent en spectacle, toujours vêtues de leur costume traditionnel.

Bien plus qu’un simple sport de combat, le catch est, pour les Cholitas, un moyen de symboliser la lutte contre les violences faites aux femmes dans un pays où le patriarcat est omniprésent (environ 7 femmes sur 10 sont victimes de violences conjugales en Bolivie).  

Comme l’explique Lissel Quiroz (docteure en histoire et professeure en études latino-américaines à CY Cergy Paris Université) dans le magazine canadien L’Apostrophe : 

« Les Cholas ne sont pas reconnues, à la base, comme étant de ‘ vraies femmes ‘. La société voudrait que les femmes soient délicates, douces et féminines, alors que les Cholas sont beaucoup plus brusques. Les Cholitas vont donc reprendre ce terme, utilisé par les autres de façon péjorative, et se l'approprier. Elles vont se servir du fait qu'elles soient plus rudes, plus fortes, pour faire des choses dites ‘plus masculines’, comme faire de la lutte, jouer au foot ou boire comme un homme ».

 

Grimpeuses et alpinistes, catcheuses, mannequins, femmes politiques... Pas de doute, les Cholitas ont réussi à prouver au monde entier qu’il est possible d’être une femme moderne et indépendante tout en appartenant à une société aux croyances millénaires !

 

Florine Dergelet